Matthieu et le Canon

« Canon » (gr. kânon) signifie en grec « règle » (Cf. Ga 6, 16) et « liste » (Cf. 2 Co 10, 13-16). Ce mot désigne la liste « officielle » des textes considérés, par l’Église catholique, comme inspirés par Dieu, plus précisément par l’Esprit saint. Ceux-ci constituent, pour un Chrétien, la norme de la foi et des mœurs.

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1. Le Canon juif des Écritures.

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La notion de canon des Écritures n’est pas une invention chrétienne. Elle est héritée d’un concept juif, apparu à l’époque du retour d’Exil, après -5381. Elle participe alors de la renaissance du judaïsme en terre d’ISRAËL2, après l’épreuve effroyable de la prise de JÉRUSALEM par le roi babylonien NABUCHODONOSOR II (- 597 puis – 587), i.e. de la destruction du Temple de SALOMON, de la destitution du dernier roi de JUDA, SÉDÉCIAS3, de la perte d’indépendance et des différentes déportations4 des élites du peuple juif, en BABYLONIE5. La notion de canon entend ainsi organiser les multiples traditions (préceptes, rites, prophéties, prières, histoires narratives, récits sapientiels) en une série de collections, puis en un corpus cohérent de livres (Gr. biblia, « les livres », notez le pluriel, d’où le nom « Bible »), témoins et garants, dans leur diversité même, de l’expérience religieuse d’Israël. Ce mouvement de synthèse, peut-être conformé par l’autorisation impériale perse à la constitution d’un droit particulier juif6, est parallèle à celui de la reconstruction de la ville de JÉRUSALEM7 et du Second Temple, sanctuaire unique d’Israël depuis la réforme de JOSIAS (roi de 640 à 609)8. Ce dernier sera achevé, après quelques péripéties, vers -520-5159, dans une dynamique sacerdotale, se pensant comme la seule médiation entre Dieu et son Peuple, associée à la restauration liturgique et synagogal10. Cette époque apparaît en filigrane des livres d’ESDRAS et de NÉHÉMIE. L’ensemble bibliographique ainsi formé, bientôt appelé Miqra, s’organise progressivement en trois grands ensembles11 :

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  • la « Loi » ou Torah12, parfois appelé « Livre de Moïse », au sens de livre écrit par MOÏSE13. Loi a ici le double sens d’«enseignement » et de « commandement ». La Torah est le seul livre saint reçu par les Samaritains (principe acquis vers -200) et les Sadducéens. Cet ensemble complexe de textes très divers exprime l’identité du peuple juif, en le centrant sur la dynamique narrative très puissante promesse/accomplissement. Il concernent l’histoire sainte14 depuis l’origine mythique (Gn 111), les cycles des Patriarches (ABRAHAM, ISAAC, JACOB, JOSEPH, MOÏSE), l’éthique, le droit15, les rites et les coutumes. Il s’achève devant le JOURDAIN, i.e. avant l’entrée en Terre Promise. La Torah compte cinq livres, d’où sa transcription en grec par Pentateuque16 (= les « cinq coffres » ou « cinq étuis », i.e. lieux pour ranger les rouleaux).
  • les « Prophètes » (Neviim), divisés en deux groupes: les prophètes « antérieurs » (Neviim rishonim ou « livres historiques », de tradition parfois dite « deutéronomiste », sans doute écrite dans un milieu laïc = Jos ; Jg ; Sm ; R) et les prophètes « postérieurs » (Neviim aharonim = les 3 « grands » prophètes [ISAÏE, JÉRÉMIE, EZÉCHIEL] et les 12 « petits », regroupés en un seul livre appelé Trei Assar), soit au total 8 livres ;
  • les « Écrits » (Ketouvimparfois transcrits les « Hagiographes »), plus tardifs, disparates, proche de la littérature sapientielle, en contact avec l’hellénisme. Cette section compte 11 livres : 3 « livres poétiques » (JbProvPs), les « 5 rouleaux » (Ct ; Rt ; Lm ; Qo ; Est), les « autres livres » (Dn; Esd + Ne; Chr).

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La reprise des initiales de ces trois ensembles (TorahNeviimKetouvim) donnera l’acronyme usuel TaNaK(h). Longtemps, les listes restèrent floues et ouvertes. Si, autour du 1er siècle ap. JC, le canon de la Torah et des Prophètes17 semble fixé et consensuel, le recueil des Ketouvim, lui, reste fluctuant. En effet, il est sensiblement différent si l’on considère le corpus palestinien, se centrant sur les textes hébraïques, i.e. les Ketouvim cités ci-dessus, appelés dans la tradition chrétienne livres « protocanoniques », soit un total de 24 livres18, canon auquel reviendra la Réforme, et le corpus hellénistique, s’appuyant sur la liste plus large de la Septante.

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Abrégée « LXX », la Bible des Septante désigne la traduction en grec des textes bibliques, écrits en hébreux. Elle fut réalisée par les Juifs hellénisant de la Diaspora, entre le 3e av. et le 1e s. ap., initialement autour d’ALEXANDRIE. Il semble que la Torah était traduite dès -285. La Septante doit son nom à la légende (fausse) rapportée par un écrit pseudépigraphique, la Lettre d’Aristée19. Celle-ci évoque une traduction miraculeuse réalisée à la demande du roi-Pharaon lagide PTOLÉMÉE II, conseillé par DÉMÉTRIOS de PHALÈRE, le créateur de la fameuse bibliothèque d’ALEXANDRIE, en 72 jours par 72 traducteurs (6X12), chiffre ensuite réduit à 70 (Septante) par Flavius JOSÈPHE20. Sur certains points, cette traduction s’éloigne du Texte Massorétique aujourd’hui reçu, que ce soit par un processus de réinterprétation théologique, de traduction, ou l’utilisation de textes-sources sensiblement différents21.

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En effet, la LXX intègre des livres connus seulement en grec. De plus, elle réorganise le Tanakh, individualisant les petits prophètes [+ 11], coupant en deux trois livres (Sm, R et Ch [+3]) et distinguant entre Esdras et Néhémie [+ 1]22, soit un total de 39 livres.

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Une chose est de fixer les éléments d’une liste ouverte, une autre de clore cette liste d’une manière définitive, considérant dès lors que la Révélation sous cette forme est close. L’idée d’une telle clôture du canon juif des Écritures semble incompatible avec la pluralité des versions découvertes à QUMRAN (2e-1er s. av. JC). Elle semble cependant bien avancée à la fin du 1er s ap. JC. Son principe serait donc situé entre les deux révoltes juives (66-73; 132-135). Elle est peut-être (la chose est discutée) impulsée par le Synode de JAMNIA (YABNÉH), sorte d’académie réunie, entre 75 et 117, autour de certains « Sages d’Israël », en particulier de Yohannan ben Zakkaï, véritable pivot23, et de GAMALIEL II, pour refonder le judaïsme sur des bases traditionnelles, ceci après l’épreuve de la défaite de 70 et de la destruction du Second Temple24. Dans ce cas, l’approche générale serait clairement celle propres aux tannaïtes, groupe rabbinique violemment hostile aux Judéo-Chrétiens, désormais exclus de la Synagogue25, et à la LXX grecque que ceux-ci utilisent. La clôture serait donc contemporaine de ce mouvement radical de retour à l’hébreu et de rédaction de la Mishna, i.e. à l’entrée dans une nouvelle phase du Judaïsme26. Quoi qu’il en soit, la clôture du Canon, comme l’ordre des livres, semblent bien établis à la fin du IIe s. Cependant, le travail sur le texte « canonique » n’est pas fini. Sa voyellisation (ajout des points-voyelles, ou neqoudôt, au texte consonantique), sa ponctuation, sa cantillation comme sa capitation (découpage en parashiot, plus adaptés à la lecture des rouleaux) sera l’œuvre des Massorètes (surtout du 7-10e s., en Palestine et en Babylonie ; massorah = « transmission »). Le texte reçu sera donc stabilisé seulement au 11e s.27

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Enfin, il faut bien comprendre que la BH n’a de sens que dans un écosystème complexe d’hypertextes, qui la débordent. Celui-ci intègre un immense corpus de textes interprétatifs, à l’autorité reconnue, connexe, mais d’une autre origine. Dans le cadre du judaïsme pharisien et rabbinique, cet ensemble est fondé sur le principe d’une Tradition orale (Shèbe’al-pé), dite reçue par MOÏSE (Cf. le pluriel de Lv 26, 46), puis transmise et enrichie par les pères28, en premier lieu ESDRAS29 . Pour la tradition pharisienne, c’est bien une même Parole qui est reçue par MOÏSE, puis reprise et répétée sous une autre forme par les Prophètes et les Écrits, d’une part, par les commentateurs d’autre part, lui donnant ainsi une actualité et une vie que la lettre menace toujours de pétrifier. On peut ainsi signaler :

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  • la Mishna (« Transmission »; comparer avec le grec paradosis) rabbinique, reçue (qabbalah) puis transmise oralement30, mise par écrit in fine par un groupe réuni autour du rabbi JEHUDA HA-NASI le Prince et son fils, à partir de 219. Ce texte prend la forme d’un commentaire des récits (la haggada; Hb. higgid = « raconter ») et d’une jurisprudence à visée pratique (la halakha; Hb. halak = « marcher », au sens de la conduite morale)31. Elle compte six ordres (Sedarim) et 63 Traités (Masektot). Il en existe une bonne traduction en anglais.32
  • la Tosefta (« Supplément », loi orale, vers 200),
  • les 2 Talmuds (« étude » ou « enseignement« ), « de Jérusalem » (abrégé T.J.; vers 300), ou « de Babylone » (abrégé T.B.; entre 400 et 600; certains livres33 sont disponibles dans une bonne traduction en anglais, rédigés par les Amoraïm. Le TB fut à son tour abondamment commentés à partir du 9e s., en particulier par RACHI de TROYES (mort en 1105).

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Mais il ne faut oublier :

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  • la LXX et les autres versions grecques.
  • La littérature inter-testamentaire.
  • les Midrashim (commentaires exégétiques), en particulier des liturgies de la Parole à la synagogue, structurées en forme tripartite : lecture de la Torah (seder du jour), des livres prophétiques (haphtarah, ou « complément« ) et des Écrits (surtout les Psaumes).
  • la littérature apocalyptique,
  • les différents Targums (Hb. : « traduction »), i.e. les traductions accompagnés de commentaires et prédications en araméen ou en grec à partir de l’hébreu, mal compris par la majorité des Juifs dès le 4e s. avant J.C. (Cf. Ne 8, 8)34.
  • une instance herméneutique en quelque sorte « permanente », le Grand Rabbinat.

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La pointe est claire : le texte canonique, malgré son autorité régulatrice, ne peut pas exprimer la totalité de la Révélation35. Cette dynamique s’inscrit au cœur même du texte, ne serait-ce par le principe d’une écriture consonantique. Cette pluralité ouvre au devoir d’interprétation, qui est toujours, selon l’heureuse Édu philosophe Paul RICŒUR, un « conflit des interprétations« . Car, selon l’adage rabbinique, « la Torah n’a pas un seul sens, mais des sens multiples. »

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Aujourd’hui, le texte reçu est soit la Biblia Hebraica Stuttgartensia36, soit l’édition de l’Université hébraïque de Jérusalem37.

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 2. Le canon chrétien

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La nouveauté de l’événement chrétien, en particulier son universalité qui transcende les limites d’Israël, la chute de Jérusalem (en 70), l’expulsion progressive des Chrétiens de la Synagogue (vers 80-90?) et la mort des derniers apôtres, c’est-à-dire l’entrée dans la période dite « post-apostolique », a nécessité de compléter l’ancienne norme scripturaire, contenue dans les évangiles. « La Loi et les prophètes » deviennent alors, non plus un absolu clos, mais le témoignage d’une « ancienne Alliance », terme apparu vers 15038, et bientôt compris comme  « Ancien Testament »39. Ce dernier est alors repensé comme l’annonce et la figure (non pas dans le sens de « préfiguration » imparfaite, mais dans celui d’une réalité quasi sacramentelle) d’un autre, le « Nouveau Testament »40. Ici, le « nouveau » donne sens, accomplit et honore l’ancien en l’accomplissant, i.e. en lui révélant sa vérité. Ce faisant, il le dépasse et le renouvelle. Ce point explique que le NT valorise les écrits prophétiques de l’AT, eux-mêmes compris comme relecture et processus actif d’actualisation de la Torah (au sens large), à la fois dans le présent et vers l’avenir. En feed back, l’expérience chrétienne fait donc cercle. Elle reconfigure l’AT et demande sa réinterprétation intégrale à la lumière du Christ41 et de son Esprit42. Elle tend ainsi à articuler deux niveaux de lecture, pensant cette articulation soit en terme plutôt hébraïque43, i.e. comme un niveau immédiat et un niveau différé (dans le Christ), insistant alors sur la dimension diachronique, soit en terme plutôt hellénistique44, i.e. comme articulation d’un niveau littéral et d’un niveau figuré ou allégorique45, insistant de fait sur la dimension synchronique. La question de l’équilibre entre ces deux niveaux, quels qu’ils soient, reste complexe, tant la crise d’une allégorisation de plus en plus arbitraire, actée à l’époque scolastique, a provoqué en retour une historisation et un littéralisme excessifs46. De même, une typologie intégrale, si elle s’appuie sur la réduction du mystère du Christ à la réalité présence de l’Église (l’enseignement magistériel, la « Tradition »), accroît le jugement négatif sur l’Israël historique (les Juifs n’ont pas voulu reconnaître le Messie, pourtant si évident, etc.), en oubliant combien l’attente et l’inaccomplissement demeurent une dimension fondamentale de la vie chrétienne. La relecture typologique de l’AT est par définition inquiète et partielle, car l’objectivation du mystère du Christ reste encore inquiète et partielle dans l’Église. Celle-ci demeure pèlerine et porteuse d’une structure d’espérance. D’autre part, il conviendrait de s’interroger sur la distinction assez récente (milieu 18e s ?) entre les études de l’AT et du NT, symptôme d’une brisure sans doute excessive dans la dynamique de la Révélation.

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Quoi qu’il en soit, il semble que ce fût la clôture du canon juif qui ait incité l’Église à définir son propre canon de l’AT, se fondant alors simplement sur l’usage de la LXX, la Bible des Pères de l’Église47. Elle reprend donc le Canon du Tanakh selon la LXX (39 livres), retenant de plus 7 livres grecs, appelés pour cela « deutérocanoniques » (litt. le « second canon »), rejetant les autres, et pour cela appelés « apocryphes » ou « pseudépigraphes ». C’est pourquoi l’AT catholique, qui n’est donc pas la BH, non plus la LXX, compte 39 + 7 = 46 livres. Quant à la version latine de l’AT, la traduction de la Vulgate48 réalisée par saint JÉRÔME (vers 347-420) à la demande du pape DAMASE, avec d’autres collaborateurs49, fixa pour longtemps, i.e. jusqu’à l’édition50 correctrice de la Vulgate Sixto-Clémentine, les règles d’édition en Occident, à savoir le texte hébreu pour les textes du canon hébraïque (principe de la veritas hebaïca), et le texte grec de la LXX pour les textes du canon hellénistique. Mais, en fait, pour ce dernier corpus, JÉRÔME corrigea seulement la Vetus Latina.

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La Vetus Latina51, ou Italica, est la traduction latine, commencée dès 150, fixée peut-être dès 225, de différents textes de la Bible chrétienne grecque. Longtemps méprisée, son antériorité en fait le témoin précieux de traditions très anciennes, ensuite disparues lors de l’harmonisation dont témoignent les grands onciaux du 4e s.

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Le Nouveau testament pourrait être défini en première analyse comme la mise par écrit, codifiée par la tradition post apostolique, des éléments fondamentaux de l’enseignement des apôtres52, permettant à tous de recevoir et de vivre l’expérience chrétienne. Celle-ci intègre les paroles de Jésus (logia), sa biographie relue dans la foi pascale, des hymnes liturgiques, des professions de foi, des catéchèses apostoliques, des lettres de PAUL et des apôtres, etc. Ces éléments sont en eux-mêmes profondément articulé avec l’AT (d’où la condamnation de MARCION, vers 150).

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Le Canon ne fut donc pas, en tant que tel, « imposé » par une autorité en quelque sorte « hors-sol », en cela arbitraire, mais fut régi par la vie des communautés et la règle dynamique du consensus. Il s’agit bien plus d’une ratification d’un déjà-là que d’une décision ex nihilo, bien que ce déjà-là soit différent pour ce qui concerne le futur NT (qui n’existe pas et se présente comme une structure synchronique) et le futur AT (qui est en grande partie reçu du judaïsme, via la LXX, en tant qu’unité canonique et se présente comme une structure diachronique). Le processus de canonisation suppose de considérer certains textes chrétiens53, fruit d’une expérience vivante de foi, comme « canoniques », i.e. revêtus d’une autorité particulière, au moins équivalente à celle des Écritures. Au niveau théologique, il est consubstantiel à l’élaboration complémentaire des Symboles de foi, sorte de canon (règle de lecture) du canon, et à la définition de la succession apostolique, finalisée par IRÉNÉE. Ces trois éléments conjoints, formant système, participent à l’auto-compréhension de l’Église, en particulier dans la structuration magistérielle comme autorité paradoxale, à la fois instituée et instituante, puisqu’elle institue (acte d’autorité) ce qui l’institue (acte d’obéissance). Ce point éclaire la nature complexe de l’Église et, plus fondamentalement, la structure même de la Révélation, elle-même fenêtre ouverte vers l’essence trinitaire (Dieu se donne à une liberté et dans l’histoire, étant en lui-même liberté et relation.

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Certes, le processus de canonisation est déjà présent, ne serait-ce de manière inchoative, dans deux textes pseudépigraphiques du futur NT, i.e. en 1 Tm 5, 18 et en 2 P 3, 15-16 (écrits pauliniens mis au même niveau que les « autres écritures »). Cependant, la liste comme l’affirmation de la clôture du canon ne sont pas scripturaires (il n’y pas de listes canonique dans le NT). Cette élaboration selon le principe de la réception fut l’œuvre de l’Église post-apostolique, i.e. un travail de la tradition comme processus de transmission d’une expérience de foi54. Elle traverse la fin du 1er siècle et tout le 2ème siècle. Certains hérétiques, en particulier les gnostiques et MARCION, y contribuèrent de manière décisive. Au total, quatre critères discriminants émergent : Authenticité ; Apostolicité ; Orthodoxie ; Catholicité. Ce dernier, souvent cité dans les termes de VINCENT de LÉRINS, « […] s‘en tenir à ce qui a été cru partout, toujours et par tous…»55, fut sans doute le critère des critères. En effet, seule l’universalité vérifie la « sempiternalité », car seul le fait d’avoir été reçu partout porte l’autorité suffisante pour imposer d’être à recevoir toujours.56. Certains textes sont clairement refusés (évangiles apocryphes, apocalypses chrétiennes), d’autres sont l’objet d’hésitation jusqu’au 5ème siècle57, soit qu’ils soient finalement acceptés (He, certaines épîtres catholiques, Phil, Ap) ou rejetés (1ère lettre de Clément, Didachè, Pasteur d’Hermas, la Doctrine des apôtres). La première liste connue est le Canon de MURATORI (entre 200 et 300). Il comprend les 4 évangiles, 13 épîtres de Paul, Jude, 1-2 Jn, Ap, L’Apocalypse de Pierre et le Pasteur d’Hermas. Manque donc He, Jc, 1-2 P.

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Les listes se stabilisent au 5è siècle à 27 livres en Occident58. La liste définitive sera fixée par le concile œcuménique de FLORENCE (en fait la reprise du canon de la Vulgate), dans le Décret pour les Jacobites (1442)59. Cette liste fut reprise par le concile de TRENTE dans le contexte polémique de la Contre-Réforme (décret Sacrosancta, 4ème session du 8 avril 1546)60. Héritière du  judaïsme, l’approche catholique et orthodoxe considère que le texte canonique est revêtu d’une autorité propre, mais qu’il ne peut pas contenir l’intégralité de la Révélation35. En effet, l’interprétation reste vivante, i.e. en devenir, en particulier dans sa dynamique spirituelle61. La régulation de cette interprétation est confiée à l’Église.

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3. Matthieu dans le Canon

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La canonisation de quatre évangiles (évangile tétramorphe) est actée dans l’œuvre d’IRÉNEE62. Elle ne semble pas certaine auparavant, comme le prouve :

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  • Le prologue de Lc.
  • La tentative de TATIEN, vers 160, de les réduire à un seul (le Diatessaron).
  • La proposition de MARCION.
  • La présence de logia inconnues des évangiles chez certains Pères apostoliques.

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IRÉNÉE fonde son argumentation sur les écritures, redéfinies de manière tripartite : l’autorité du Seigneur (les 4 évangiles), l’autorité des apôtres (épîtres), l’autorité des prophètes (AT).

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Mt est le premier évangile du Canon. Pour AUGUSTIN (De Consensu Evangelistarum), après lui GRIESBACH (1783) ou FARMER(1964), ce point révèle la précédence chronologique de Mt, source de Mc, elle-même source de Lc (« hypothèse augustinienne »).

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Bibliographie :

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  • CENTRE SÈVRES (dir. C. THEOBALD), Le Canon des Ecritures. Etudes historiques, exégétiques et systématiques, Paris, Cerf, 1990.
  • B. SESBOÜÉ, « La Norme de la règle de foi : Le Canon des Ecritures », dans Histoire des dogmes, Tome 1, « Le Dieu du Salut », Paris, Desclée, 1994, p. 57-67.
  • B. SESBOÜÉ, « La preuve par les Écritures chez saint Irénée », dans NRT n° 103 (1981), p. 872-887.
  • Commission Pontificale  bibliqueLe peuple juif et ses saintes Écritures dans la Bible chrétienne

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  1. Décret de retour du roi perse CYRUS II ; Cf. Esd 1 ; Is 45, 1-3 (CYRUS, Messie d’Israël). Sur l’aspect historique, sans doute plus progressif et difficile que décrit, et la difficile intégration du groupe des exilés (la gola; Cf. Esd 1, 11; 4, 1; 6, 21; 8, 35), avec les autochtones, voir J. BRIEND, « L’édit de Cyrus et sa valeur historique», dans Transeuphratène n° 11, 1996, p. 33-44 et Philippe ABADIE, Esdras et Néhémie, CE n° 95, p. 12-15. []
  2. Cf. Esd 3 [culte]; 6, 19-22 [Pâques] ; Ne 8[lecture de la Loi et prières confessionnelles] ; 13, 15-22 [rétablissement du sabbat] ; 10 ; 13, 23-29 [interdiction du mariage avec les païens]. []
  3. Initialement appelé YOYAKÎN. Cf. 2 R 24, 17-25, 7; 2 Ch 36, 11-16; Jr 52, 1-11. []
  4. Peut-être trois, une en -597, une en -587 et une peu après. Cf. Jr 52, 28-30. []
  5. Cf. Ez 1, 1-3; Ps 137 [136]; etc. []
  6. Cf. Esd 7, 11-28. []
  7. Cf. Ne 17. []
  8. Cf. 2 R 2223 // Dt 12, 2-7. []
  9. Cf. Esd 1, 2 ; 46, 18 ; Ag 1, 15 et Za 4, 6b-10. Son autorité sera cependant contestée par les Samaritains (CfSi 50, 25-26) et les communautés de QUMRAN (sans doute associées aux Esséniens, détruit en 68 après J.C. []
  10. Cf. T.J. Megillah, IV, 1, 75a; Ne 10 ; 12 ; 13, 1-22 ; Esd 1, 9-11 ; 2, 36-69. []
  11. Cf. FLAVIUS JOSÉPHEContre ApionI, 8. []
  12. Cf. Dt 31, 24; 32, 46; Jos 24, 26; 2 R 22, 8.11; etc. []
  13. Cette paternité littéraire sera remise en cause à partir dès la fin du 17e siècle, par Richard SIMON et Baruch SPINOZA. Il est aussi appelé « livre de l’alliance » en Ex 24, 7 ou 2 R 23, 2.21. []
  14. Cf. Dt 1, 5. []
  15. Cf. Lv 6, 2.7.8; 7, 1; 11, 46; 26, 46; Nb 6, 13. []
  16. Cf. Olivier ARTUS, Le pentateuque, CE n° 106, 1998, 67 p. []
  17. Cf. le principe de la fin de la prophétie (MALACHIE), énoncée en 1 M 9, 27. []
  18. Parfois ramené à 22 livres, nombre de lettres dans l’alphabet hébreu. []
  19. Voir SC n° 89, soit-disant adressé à PHILOCRATE, peut-être Vers – 100 ; voir aussi Talmud, Scribes, I, 7. []
  20. Cf. AJ, XII ; Voir aussi Ex 24, 9-11 []
  21. L’édition critique la plus répandue est celle de GÖTTINGEN, en cours de parution depuis 1931. Une version française a paru, depuis 1986, sous la direction de Marguerite HARL, aux éditions du Cerf. Voir H. COUSINLa Bible grecque, la Septante, Supplément au C.E. n° 74, 1991. []
  22. Il existera des révisions de la LXX, connues par les Hexaples d’ORIGÈNE : Aquila (vers 120-130), Théodotion (1er s. av ou ap), Symmaque (vers 150). []
  23. Cf. T.B Sukkah 28a. []
  24. Cf. Tosephta, Ediyot [témoignage], 1, 1-4. []
  25. Il subsistera cependant des judéo-Chrétiens en Babylonie, jusqu’au 5e s. []
  26. Le rejet de la LXX et des auteurs juifs qui la commentèrent, en particulier PHILON d’ALEXANDRIE, demeure encore vivace dans le Judaïsme contemporain, à l’exception de certains auteurs, en particulier Emmanuel LEVINAS. Voir E. LEVINAS, Á l’heure des nations, (coll. « Critique« ), Paris, Éd. de Minuit, 1988, p. 43-65. []
  27. Cf. manuscrit de Saint-Pétersbourg. []
  28. Cf. Mc 7, 1-13; Mt 15, 1-9; Ga 1, 14; Ac 22, 3; 28, 17. []
  29. Cf. Ne 8, 8. []
  30. Cf. Ga 1, 11-12; 1 Co 11, 23; rappelons que PAUL se présente comme le disciple de GAMALIEL (Cf. Ac 22, 3). []
  31. Voir Claude TASSINLe Judaïsme au temps de JésusCE n° 55, 1986, 74 p. La Halakha possède aujourd’hui un wiki spécialement dédié, Halachipedia [en anglais]. []
  32. Herbert DANBYThe Mishna, Transl. from the Hebrew…, Oxford University Press, 1933, 844 p., disponible sur Googglebook. []
  33. Principalement le Seder Nashim (les femmes), et le Seder Nezikin (Des dommages) dans l’édition d’Isidore EPSTEIN, The Babylonian Talmud, Transl. into English, London, The Soncino Press, 1961, 18 vol. []
  34. Voir Pierre GRELOT, Les Targoums, Supplément aux CE n° 54, 1986, 106 p. []
  35. Cf. Jn 21, 25. [] []
  36. BHS ; Stuttgart, 1977-1983, transcrit à partir du ms B19A de SAINT-PETERSBURG, plus ancien manuscrit intégral de l’AT, datant de 1008/1009, transcrit dans la tradition des BEN ASHER et en partie copie du codex d’ALEP. []
  37. à partir du Codex A d’ALEP, transcrit lui aussi dans la tradition des ben ASHER, vers 910-930, et en partie brûlé en 1947. []
  38. Cf. MÉLITON de SARDES, connu par EUSÈBE de CÉSARÉEHEIV, 26, 12-14. []
  39. Cf. 2 Co 3, 14-15, où diathêkê désigne la Loi écrite (lue) de Moïse. []
  40. Cf. Jr 31, 31, traduit kainê diathêkê (testament ou pacte) par la LXX. []
  41. Cf. Lc 24, 44-45. []
  42. Cf. 2 Co 3, 14-17. []
  43. Cf. la relecture de l’Exode ; le projet de 1-2 Ch. []
  44. Cf. les relectures des mythes grecs ; PHILON. []
  45. Cf. 1 Co 9, 9; 10, 1-11 ; Ga 4, 24 [gr. « all’goroumena » ; en fait « typologie »]. []
  46. Primat exclusif de la méthode historico-critique. Voir par exemple Walter VOGELS, « Les limites de la méthode historico-critique », dans Laval théologique et philosophique, vol. 36, n° 2, 1980, p. 188-189. []
  47. Cf. Dei Verbum, VI, n° 22. []
  48. Lat. Editio vulgata = « édition courante ». Le terme est une traduction d’une expression grecque, Koinê ekdosis, qualifiant la LXX. Il désigna d’abord la Vetus Latina. Il semble que ce fût Roger BACON qui, au XIIIe s., imposa ce terme pour l’édition de JÉRÔME. []
  49. Voir P. JAYSaint Jérôme, Supplément au CE n° 104, 1998. []
  50. Cette édition est annoncée par le décret Insuper, du 8 avril 1546 (Voir le § 3). Elle sera promulguée en partie par le pape SIXTE-QUINT, en mai 1590, et définitivement en novembre 1592, par Clément XIII. []
  51. L’édition de référence, actuellement en cours, est celle dite de BEURON : Vetus latina. Die Reste der Altlateinischen Bibel, depuis 1949. []
  52. Ac 2, 42. []
  53. Historiquement, le corpus paulinien et les logia du Seigneur : Cf. CLÉMENT de ROME, Lettre aux Co13, 1-2 ; 46, 7-8; voir SC 167, p. 123 et 177; JUSTINApologie 166, 3. []
  54. Voir DV 8 : la Tradition « […] fait connaître à l’Église la liste [lat. « canon »] intégrale des Livres Saints ». []
  55. VINCENT de LÉRINSCommonitorium, I, 5 : « In ipsa item catholica ecclesia, magnopere curandum est ut id teneamus quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est. » []
  56. Sur ce point, voir la relecture critique mais suggestive de Barth EHRMANLes christianismes disparus. La bataille pour les Écritures : apocryphes, faux et censures, (Trad. de l’Américain par J. Bonnet), Paris, Bayard, 2008, 416 p. []
  57. Cf. catégories d’EUSÉBE, HE III, 25 : livres reçus, livres apocryphes, livres contestés. []
  58. 22 en Orient, qui rejette He, Jc, 2 P, 3 Jn, Jude, voire, parfois, Ap. Cf. les conciles africains de Carthage, en 397 et 419, et le décret de GÉLASE Dz 179-180. []
  59. Dz 1334-1335. []
  60. Dz 1502-1503. []
  61. Cf. Jn 14, 26 ; 15, 26 ; 16, 13 ; Voir DV 810. []
  62. Cf. AH, III, 11, 8, dans une argumentation symbolique. []

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